Destutt de Tracy to Thomas Jefferson, 8 January 1824
From Destutt de Tracy
Paris 8 Janvier 1824!
Monsieur
Recevoir une marque de Souvenir de votre part est toujours un vrai bonheur pour moi. j’y Suis d’autant plus Sensible en ce moment que j’en etais privé depuis longtems. La derniere de vos Cheres lettres que j’aye reçue est celle du 26 Xbre 1820 qui repondait à la mienne du 10 mars 1819 et qui S’est croisée avec une autre de moi du 24 9bre 1820. Vous voyez, Monsieur, par mon exactitude à Conserver ces dates malgré la perte presqu’entiere de ma memoire combien cette correspondance m’est precieuse.
Dans Ce long intervalle de tems je me suis bien Souvent et bien soigneusement informé de vos nouvelles. j’ai appris avec un grand chagrin vos souffrances et le cruel accident que vous avez eprouvé; et je me rejouis que maintenant votre Santé Soit meilleure. Conservez vous longtems, Monsieur, pour le bonheur de vos concitoyens et pour celui de tous ceux qui vous aiment et vous admirent, c’est à dire de tous les hommes bons et eclairés qui existent dans les deux mondes.
Vous êtes trop bon d’attacher quelqu’importance à mon commentaire Sur l’esprit des Lois. je ne l’estime que parceque vous l’approuvez et le protegez. quand on le reimprimera chez vous, je desire que Ce Soit d’après l’edition à la tete de laquelle est mon nom et que j’ai eu l’honneur de vous envoyer, et je le desire non Seulement parcequ’il est alteré dans l’edition de Liege, mais encore parceque dans la mienne il se trouve a la fin du chapitre second du livre onze deux notes auxquelles, je vous avoue, que j’attache beaucoup d’importance, et encore à Cause qu’il est Suivi du petit ecrit intitulé: quels sont les moyens de fonder la morale d’un1 peuple. quant à L’angleterre malgré qu’on m’en ait dit je suis très persuadé qu’il n’y Sera jamais publié. Ce n’est pas que ce petit ouvrage contienne rien contre la religion et les Lois, mais il y a trop de choses contre les pretres et les Rois pour qu’il plaise dans ce pays Soi disant philosophe et libre. cependant il est traduit en allemand, en Italien, en Espagnol et Se vend publiquement à Paris, ce qui à mon Sens montre l’esprit de ces nations si Ce n’est pas celui de leurs gouvernemens.
Pour mon petit Traité d’Economie Politique je suis charmé S’il peut Seconder vos bonnes intentions et etre de quelqu’utilité dans l’excellent etablissement qui vous devra Sa fondation. je Crois bien qu’il Vaut un peu mieux que Ce que j’ai dit Sur cette matière dans le commentaire parceque le sujet y est traité methodiquement et didactiquement et non pas par occasion et à mesure que les idées se presentaient à l’esprit de Montesquieu. mais je vous avoue qu’a mes yeux le principal merite de Cette 4eme partie de mon Ideologie (Si elle en a un quelconque) est d’etre la suite des trois premieres. je ne crains pas de vous dire que C’est à Ces trois premieres que j’attache quelqu’importance. Il me Semble qu’avant d’etudier un Sujet quelconque il faut s’etre bien rendu compte des moyens que nous avons de Connaitre quoique Ce soit. or, c’est à quoi on ne peut parvenir que par l’examen de la formation de nos idées, de leur expression et de leur deduction. C’est là Ce me Semble, la seule vraie Logique et c’est ce qu’a senti Don Juan Justo Garcia, deputé aux Cortès qui m’a fait l’honneur de me traduire en 1821, et qui intitule son ouvrage: Elementos de Verdadera Logica. C’est ce que n’a fait aucun logicien jusqu’a present. ils se sont tous bornés à donner des regles pour tirer des consequences des principes generaux mais ils n’ont jamais dit comment on arrivait a Ces principes generaux et comment on pouvait savoir et montrer pourquoi ils Sont vrais ou faux. C’est là Sans doute un ouvrage bien important qui manque dans toutes les langues ou du moins dans toutes Celles qui me sont connues. je voudrais bien que le mien fut moins imparfait, mais tel qu’il est je desirerais passionnement qu’il fut traduit dans votre pays. cela me ferait esperer que bientot il en naitrait un meilleur sur le même Sujet; et C’est là le plus grand Succès que puisse desirer un homme qui veut Sincerement le bien et l’avancement de l’esprit humain.
Quant à l’espoir d’achever mon Ideologie et de remplir le plan que j’ai osé en tracer a la fin de mon 3eme Volume je ne puis le Conserver. mes yeux sont perdus pour jamais et me Servent à peine a me Conduire. ma memoire est egalement perdue et toutes mes autres facultés extremement affaiblies. Je ne peux plus faire que vegeter. mon bonheur est de revivre dans mes enfans et mes petits enfans, et de penser que j’ai quelque part dans votre souvenir. Cet etat me fait desirer encore plus vivement que si l’on reimprime mon 4eme Volume on y ajoute le second chapitre du Cinquieme qui traite de L’Amour dont je vous ai envoyé le manuscrit dans ma lettre du 22 fevrier 1821. C’est un exemple de la manière dont je me proposais de traiter successivement toutes nos passions bonnes ou mauvaises, bienveillantes ou malveillantes. C’est là Suivant moi en quoi devrait consister un traité de morale et c’est ainsi que je voulais le faire. je n’ai pas fait imprimer à Paris Ce Chapitre de L’Amour parcequ’on n’aime pas à repandre autour de soi le secret de son Cœur. mais je l’ai laissé inserer dans la traduction Italienne et il me Semble qu’il a été approuvé.
Je ne Vous reparlerai pas aujourdhui de mon petit volume intitulé Principes Logiques qui pourrait Ce me semble, servir de cahier pour un Cours dans un College. toutefois je ne voudrais pas que l’on crut qu’il dispense de lire les trois Volumes dont il n’est guere que l’extrait.
Je ne vous ai deja que trop parlé de moi et de mes faibles ecrits.
quant au pauvre Dandolo, il n’aura point l’honneur de vous voir et je l’en plains. il a été rappellé à Milan par le gouvernement autrichien sous peine de Confiscation de tous Ses biens et je crains fort que son obeissance à Cet ordre ne soit recompensé par un emprisonnement. Ce triste sujet me ramène naturellement a la Cruelle politique qui domine en Ce moment en Europe. mais elle me fait trop de peine pour que je m’y arrete et d’ailleurs je ne pourrais rien vous en dire que vous ne Sachiez mieux que moi. je fixe mes regards avec plus de satisfaction Sur votre hemisphere et surtout sur l’admirable discours que votre President Vient de faire au Congrès. il est par là l’exemple que devraient suivre les chefs de toutes les nations. on veut nous persuader ici que Ce meme homme au mepris de l’illustre exemple que vous avez donné au monde songe à se faire reelire encore pour quatre années. je ne puis le Croire et j’ose me flatter que s’il faisait une si honteuse demarche, la sagesse de votre nation la rendrait inutile. fasse le Ciel, Monsieur, qu’elle suive toujours vos inspirations. Such are my sincere wishes. Tels Sont mes voeux Sincères. Agreez en je vous prie l’assurance ainsi que Celle de mon profond respect et de mon inviolable attachement.
Tracy
P. S. Je ne puis vous quitter, Monsieur, sans vous dire ce qui fait la Consolation de mes chagrins. c’est que avec quelque fureur que tous les gouvernemens de l’Europe se declarent Contre les idées liberales, la raison fait chaque jour de nouveaux progrès et se repand toujours davantage dans toutes les nations Surtout parmi les jeunes gens, en sorte qu’il est impossible que plutot ou plus tard l’opinion publique ne devienne pas la plus forte partout. mais Dieu seul Sait si Cette opposition des deux principes ne produira pas quelque jour de grands troubles.
Editors’ Translation
Paris 8 January 1824!
Sir
To receive a sign of remembrance from you is always a true joy for me. I am all the more sensitive to it right now after having been deprived of it for so long. The last of your cherished letters that I received is that of 26 December 1820, which was a reply to mine of 10 March 1819 and which crossed another of mine of 24 November 1820. You see, Sir, from the accuracy with which I retain these dates despite my almost complete loss of memory, how precious this correspondence is to me.
During this long interval, I have very often and carefully informed myself of your news. I learned with much grief about your sufferings and the cruel accident you have experienced; and I am glad that your health is better now. Preserve yourself a long time, Sir, for the happiness of your fellow citizens and everyone who loves and admires you, that is to say, all the good and enlightened men of the two worlds.
You are too kind in according some importance to my Commentaire sur l’Esprit des Lois. I value it only because you approve and defend it. When it is reprinted in your country, I wish it to follow the edition that has my name at its head and that I had the honor of sending to you, not only because the text of the Liège edition is altered, but because my edition contains, at the end of the second chapter of book eleven, two notes which I confess I consider very important, and also because it is followed by a small piece entitled: “What are the means to establish the morality of a people?” As for England, despite what I was told, I am convinced that it will never be published there. Not that this short book contains anything against religion or the law, but it contains too many things against priests and kings to please in that so-called philosophical and free country. Nevertheless, it is translated into German, Italian, and Spanish and is sold publicly in Paris, which in my opinion shows the spirit of these nations, if not that of their governments.
I am delighted that my little Treatise on Political Economy may be of some use in supporting your good intentions for the excellent institution that will owe you its foundation. I do believe that this treatise is a bit better than what I said on this topic in the Commentaire sur l’Esprit des Lois because the subject is treated there methodically and didactically and not arbitrarily or as the ideas came into Montesquieu’s mind. But I confess to you that in my view the principal merit (if it has any) of this 4th part of my Élémens d’Ideologie lies in its being the continuation of the first three. I am not afraid to tell you that it is to these first three parts that I attach some importance. It seems to me that before studying any subject, we must be fully aware of the means we have of knowing anything. Now, we can achieve this only by examining the formation of our ideas, their expression, and their deduction. This, it seems to me, is the only true logic and is what Don Juan Justo García, a deputy in the Cortes, expressed when he did me the honor of translating my book in 1821. He entitled his work Elementos de Verdadera Lógica. No logician has used this true logic until now. They have all confined themselves to supplying rules to draw consequences from general principles, but they have never said how one arrives at these general principles nor how one could know and demonstrate why they are true or false. This is undoubtedly a very important work currently missing in all languages, or at least in all those known to me. I would very much like mine to be less imperfect, but such as it is, I passionately wish it to be translated in your country. This would make me hope that a better work on the same topic would soon appear; and this is the greatest success that a man can desire who sincerely wants the good and the advancement of the human mind.
I can no longer maintain the hope of finishing my Élémens d’Ideologie and fulfilling the outline I dared to sketch at the end of my 3rd volume. My eyesight is lost forever and hardly serves me to get around. My memory is also lost, and all my other faculties are extremely weakened. I can do nothing but vegetate. My happiness lies in living again through my children and grandchildren, and in thinking that I have some part in your recollections. This condition makes me wish even more strongly that, if my 4th volume is reprinted, the second chapter of the fifth volume, which deals with love, and whose manuscript I sent you in my letter of 22 February 1821, will be added to it. It shows how I proposed to deal with all our passions one after the other, good or bad, benevolent or malevolent. To me this is what a treatise on morality should contain, and it is what I intended to do. I did not have this chapter on love printed in Paris, because one does not like to spread around the secrets of one’s heart. But I let it be inserted in the Italian translation and it seems to me that it has met with approval.
Today I will not mention again my little volume entitled Principes Logiques, which it seems to me could serve as a textbook. However, I would not want people to think that it would exempt them from reading the three volumes of which it is just an excerpt.
I have already talked too much about myself and my feeble writings.
Poor Dandolo will not have the honor of seeing you, and I pity him for it. He was recalled to Milan by the Austrian government under the threat of confiscation of all his possessions, and I fear that his obedience to this order will be rewarded by imprisonment. This sad topic naturally brings me back to the cruel politics prevailing in Europe at the moment. But it pains me too much to dwell on it, and besides I could not tell you anything that you do not know better than I. It gives me more satisfaction to fix my attention on your hemisphere, above all on the admirable speech your President just delivered to Congress. The heads of all nations should follow that example. Here they want to persuade us that this same man is thinking of having himself reelected for another four years, in contempt of the illustrious example you have given to the world. I cannot believe it, and I dare to hope that if he were to take such a shameful step, the wisdom of your nation would render it useless. Heaven grant, Sir, that your nation always follow your inspirations. Such are my sincere wishes. Please accept the assurance of these wishes and of my profound respect and inviolable attachment.
Tracy
P. S. I cannot leave you, Sir, without telling you what is the consolation of my sorrows. It is that, at the same time that all the governments of Europe are declaring themselves with some fury against liberal ideas, reason is progressing every day and spreading farther in all nations, especially among the young, so that inevitably, sooner or later, public opinion will reign everywhere. But God only knows whether this opposition of the two principles will bring forth great troubles someday.
RC (DLC); in an unidentified hand, signed by Tracy; endorsed by TJ (mistakenly as a letter of 8 Jan. 1823) received 24 Feb. 1824 and so recorded in SJL. Translation by Dr. Genevieve Moene.
For James Monroe’s annual discours of 2 Dec. 1823 to the United States Congress, see note to Monroe to TJ, 4 Dec. 1823.
1. Manuscript: “dun.”
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