J’arrive hier de Vienne où mon frere est Ministre du Roi de Prusse et ou j’ai passé un mois pour voir mes parents. J’ai eté bien heureux de retrouver à mon retour l’interessante lettre que Vous avez daigné m’écrire, Monsieur, et que Vous avez accompagné d’un cadeau auquel je mets le plus grand prix. Les notes sur la Virginie seront placeés dans la bibliotheque que nous avons formé mon frere et moi. c’est un titre de gloire pour moi que d’avoir joui de la bienveillance, j’ose dire de l’amitié d’un homme qui a etonne ce siecle par ses vertus et sa moderation. Craignant que la Fregatte ne parte, comme on me l’a fait craindre je ne puis ajouter que peu de lignes. J’ose Vous offrir la fin de mon Receuil d’Observations astronomiques et la 6me et 7me livraison de l’Essai sur la Nouvelle Espagne avec les Atlas correspondants. J’avois envoyé et fait envoyé par mes libraires les cahiers précédens par differentes voyes: peutetre Vous Sont ils à la fin arrivés; je Vous supplie cependant de m’ecrire avec la plus grande franchise ce qui Vous manque pour être au complet. J’espere que les communications seront plus sures dans la suite J’ai achevé les deux tiers de mes ouvrages, j’exprime en ce moment la partie historique. Mr Arrowsmith à Londres m’a volé ma grande Carte du Mexique: Mr Pike a profité d’une maniere peu genereuse de la communication qui lui a eté faite sans doute à Washington de la copie de ma Carte: d’ailleurs il a estropié tous les noms. Je suis affligé d’avoir a me plaindre d’un citoyen des Etats Unis qui d’ailleurs a deployé un si beau courage. Mon nom ne se trouve pas dans son livre et un leger coup d’oeil sur la Carte de Mr Pike Vous prouve d’où il a puise. Ma fortune a souffert moins par mes voyages que par des évenemens politiques: c’est perdre bien peu que de perdre sa fortune Je trouve des consolations dans le travail dans des souvenirs et dans l’estime des hommes qui reconnoissent la purete de mes intentions. Je suis vivement interessé comme Vous à la grande lutte de l’Amerique espagnole. Il ne faut pas s’etonner que la lutte soit sanglante, lorsqu’on pense que les hommes portent partout l’empreinte de l’imperfection des institutions sociales et que les peuples d’Europe depuis trois siecles ont cherché leurs securité dans le ressentiment mutuel et la haine des Castes. Je ne quitterai l’Europe qu’après avoir achevé mon ouvrage: les journaux me font voyager au Thibet, je balance entre plusieurs projets, mais je desire le plus percer en Asie. Je charge de cette lettre mon ami Monsieur Correa de Serra, membre de la Societé Royale1 de Londres et Correspondant de l’Institut qui va s’etablir a Philadelphie. C’est un homme d’une ame éleveé, d’un esprit juste et fort et un des plus grands botanistes du siecle, quoique il n’ait que très peu publie. J’ose le recommander à Votre amitié et je Vous supplie de le recommander a Vos amis en Pensylvanie. Agreez, mon digne et respectable ami, l’hommage de mon admiration et de ma reconnoissance.

Humboldt