je demande sans cesse depuis un mois, Monsieur, d’etre prevenue du depart de Mr Coles et j’ai L’ambition de le Recevoir, non dans La maison, mais dans le jardin ou je dois terminer mes jours, pour que vous connoîssiés au moins mon tombeau. il n’a Rien d’attristant et pourroit exciter en moi trop d’orgueil, si je prenois un peu serieusement à lá plaisanterie de Mr Short qui ne Rougit point de dire—je serois aussi fier d’avoir planté ce jardin que d’avoir gâgné une bataille—mais voila que Mr de la Fayette m’aprend a 3 heures après midi que Mr Coles part demain. un miracle pourroit Ranimer mes esperances, mais il ne s’en fait plus gueres, et j’y compte si peu que je vais envoier en ville pour vous faire parvenir surement un temoignage de ma Reconnoissance, de mon attachement, et permettés moi de le dire de mon Respect. je ne vois pas pourquoi une femme n’emploieroit pas le terme qui exprime ce quelle sent Lorsque ce quelle sent est juste et honnorable.

il ne me convient d’applaudir a votre administration que dans La foule, par des battemens de main, Lorsque je vous suis dans La visite Respectueuse que vous allés Rendre au nouveau President, mais il me semble qu’une femme a le droit d’exprimer La satisfaction quelle a Ressentie à La Lecture des plus nobles discours qui aient jamais ete inspirés par les plus nobles penseés. il me paroit même quelle devroit Remercier toutes les fois quon autorise en elle le sentiment de L’enthousiasme qui lui est si naturel, et si souvent Reproché. je puis donc vous temoigner ma Reconnoissance pour un plaisir que je ne devois plus gouter depuis que L’approbation la plus commune a fui Loin de moi.

vos derniers et trés magnifiques dons ont eté visités et pillés en differens ports comme jai eu L’honneur de vous le mander. le quart de ma superbe caisse m’est arrivé en trop mauvais etat pour que beaucoup de semences aient pu germer. mais je ne Laisse pas d’avoir á moi seule plus de cornus Florida de vos graines quil n’en existe dans toutes les pepinieres des environs de Paris. nos ports ont eté entierement fermés depuis que vous m’avés demandé des marons et des chênes verds. ces deux semences ne peuvent se garder impunement quatre mois ce qui ne me permet pas de vous en envoier par Mr Coles. mais je desire passionnement planter un arbre a monticello et il me paroit assés piquant quil soit le produit de ceux que jai plantés depuis cinq ans. je joins donc ici quelques graines d’un arbre qui paroit venir du nord de La chine. on L’a d’abord apelle Paulinia aurea je lui ai conservé son nom quoiquil en ait pris depuis peu un autre. il croit tres promptement, s’eleve peu, son feuillage est beau, sa fleur agreable. je me suis persuadée quil vous manquoit parceque je desirois que vous eussiés la bonte de le distinguer avec interêt comme une offrande du culte que je vous Rends.

je suis facheé qu’on ne Rende pas chès vous a Mr Short autant de justice quil en merite. mais jai trop vecu dans une Revolution pour ne pas savoir que de Legeres preventions suffisent pour L’egarer. je desire passionnement que les affaires de Mr de La Fayette se terminent en amerique. on ne cesse de desirer et de se plaindre qu’en cessant de vivre. j’ai vu le moment ou je me serois autorisée du danger d’etre jettée dans La Baltique pour decider mes compagnons d’infortune a passer en amerique. votre idée soutenoit mon courage. je m’en trouve bien peu pour La certitude de ne jamais vous offrir personnellement Monsieur, Lhommage d’un attachement dont je m’honnore et qui Restera gravé dans mon coeur jusqu’a mon dernier soupir.

Noailles Tessé