To Thomas Jefferson from Edmond Charles Genet, 30 October 1793
From Edmond Charles Genet
Newyork Le 30. 8bre. 1793.
L’an 2e. de la republique française.
Monsieur
Des Traitres viennent de livrer aux ennemis de la france une portion intéressante de St. Domingue. Quelques bons Citoÿens qui ont mieux aimé S’expatrier et abandonner leur fortune que de prêter à une puissance étrangère un Serment qu’ils ne devoient qu’a la republique française, m’ont apporté cette nouvelle. Ainsi, Monsieur, cette Colonie dans la quelle un Decret de la Convention nationale venoit d’admettre vos vaisseaux aux mêmes Conditions que les nôtres; Cette Colonie qui étoit depuis dix ans le principal aliment de votre agriculture et de votre navigation; Cette Colonie enfin qui vous fournissoit les moyens de payer vos relations avec l’Europe, Touche au moment d’être perdüe pour vous Comme pour nous.
La Prise de possession que viennent d’effectuer les anglais d’une partie de cette Isle n’est qu’une Suite du plan qui Se combine depuis deux ans entre les Colons des isles du vent et des isles Sous le vent pour Se livrer aux anglais et aux espagnols. C’est par une suite de ce plan que l’etendart de la rebellion a flotté pendant quatre mois aux isles du vent. C’est à la demande des Colons eux mêmes, C’est d’après une députation qu’ils ont eû l’impudence d’envoyer publiquement à Londres, qu’une flotte considérable avoit été envoyée par le Ministère de St. James pour mettre le siége devant la Martinique, qui ainsy que Jérémie n’existeroit plus ni pour vous, ni pour nous, S’il ne S’y étoit Trouvé de braves patriotes qui ont Sû repousser les traitres, et les Tirans que le même interêt avoit Coalisé.
Les hommes qui ont appellé les anglois et les espagnols dans St. Domingue Sont liés avec un grand nombre de ces mêmes Colons que par pitié, par bonté les Etats unis ont accueillis, que par égard pour les vertus charitables de vos Concitoyens, j’ai moi même Secouru de Concert avec eux. C’est Sur cette Terre de liberté que Se sont formés tous les projets, que Se Sont concertés tous Les plans contre révolutionnaires qui viennent de S’executer. C’est d’ici que Sont partis Tous les émissaires qui Sont allés Traiter avec nos ennemis et la joie que manifestent en ce moment un grand nombre de Colons ne laisse pas de doute Sur leur complicité.
Cette conspiration étoit liée avec l’arrivée de L’Escadre de la Republique dans les Etats unis sous la conduite de galbaud. Les Scelerats qui avoient fait la guerre aux Citoÿens réintégrés dans les Droits de l’homme par la loi du 4. avril, Travailloient ici, Comme dans la Colonie à égarer cette escadre et Se flattoient de la livrer aux nombreux Contre révolutionnaires refugiés dans vos Ports, de la ramener à st. Domingue, et de Concourir avec elle à l’exécution des infâmes projets qui viennent de S’effectuer. La decouverte de leur Correspondance, la saisie légale de leurs papiers et leur fuite dans le Canada depuis que j’ai éventé leurs forfaits1 ne m’ont prouvé que trop la réalité de cette Conjuration dans le renversement de la quelle J’ai été si bien secondé par le vertueux gouverneur et le digne maire de New york. Cependant je ne suis point au Terme de mes peines, ces hommes qui vouloient entièrement corrompre nos forces navales,2 méditent de nouveaux Projets et Conspirent actuellement non Seulement Contre leur patrie, mais encore Contre votre propre indépendance et votre propre sûreté; peuplant Toutes vos villes maritimes, ils S’efforcent d’y pervertir l’opinion publique, en la dirigeant vers leur Sistême de royalisme, ils Se coalisent avec les émigrés, avec les agens des ci devant princes françois, avec les anglois, s’avoüent hautement les Sujets de ces derniers3 ou du prétendu Louis XVII, grossissent le parti de cette nation qui n’a pas encore perdû l’espoir de vous reconquérir et Se rendent Les instrumens les plus actifs du Sistême de domination universelle à la quelle aspire cette puissance audacieuse Sur tous les Etablissemens de l’amerique.
Enfin ne pouvant modérer leur Caractère remuant et agitateur aigri par l’infortune, Ils deviennent dangereux même pour la Sûreté, pour l’existence morale de vos Etats du Sud. Propageant eux mêmes des principes Contre les quels ils declament Sans circonspection, environnés de noirs et de mulâtres qui ont gouté le fruit Savoureux de la Liberté, ils peuvent donner4 lieu à des mouvemens.5 Ce sont eux qui par la publication irrefléchie des mesures que leur rebellion a provoquées et peutêtre malheureusement provoquera encore, fournissent à vos Planteurs du Sud l’aliment des allarmes continuelles qu’ils éprouvent; Ce sont eux qui leur faisant craindre Sans cesse une insurrection parmi Leurs esclaves, refroidissent par le sentiment puissant de leur interêt, les sentimens d’amitié que leur patriotisme les portoit à avoir pour la france. C’est à Charlestown Surtout que leur prodigieuse multiplication est devenüe dangereuse tant pour vous même que pour ma patrie. C’est là qu’on les voit Se permettre audacieusement les provocations les plus indécentes et les calomnies les plus atroces contre les agens de la republique; C’est là ainsy qu’a Philadelphie et à Baltimore qu’on les voit se porter envers les fonctionnaires publics d’une patrie qu’ils ont reniée, aux menaces les plus insolentes,6 et que leur grand nombre a jusqu’ici assuré l’impunité de leurs attentats.
La france votre amie apprendra Sans doute avec peine que de tels hommes Soient non seulement Tolérés, mais encore qu’ils tiennent des assemblées publiques à Charlestown, à Baltimore, à Philadelphie, à Newyork et qu’ils y repandent impunément des journaux remplis d’invectives et de Calomnies contr’elle et Contre Ses délégués. Sans doute je n’ai pas droit d’exiger contr’eux des mesures répressives, mais je puis au moins exprimer le voeu du representant de la nation française. Il me paroit indispensable autant pour votre tranquillité7 que pour les interêts de la france que le gouvernement féderal prenne dans Sa Sagesse des mesures promptes pour faire avorter les Complots que je viens de lui dénoncer et pour éviter autant qu’il Se pourra que le sol de la Liberté ne Soit point Souillé par la Lave que le volcan de st. Domingue y a jetté et qui ne peut y repandre que le poison de l’aristocratie et du Royalisme. Pourquoi ces hommes dangereux choisissent-ils de préférence le Territoire de la liberté Si ce n’est pour la Compromettre ou Conspirer Contr’elle? S’ils ne vivifient ni votre commerce, ni votre agriculture, S’ils ne peuvent que vicier votre éxistence morale et politique et diviser votre fédération en deux parts, pourquoi ne seroient ils pas à l’avenir envoyés Sur les Terres des rois vos voisins dont ils S’avouent les esclaves? L’Espagne leur offre la molesse de ses villes; l’orgueil anglois leur tend les bras; ils ont à leur porte des Compagnons de Servitude et des rivaux8 en barbarie, et c’est icy qu’ils portent leurs pieds liberticides et corrupteurs!9 Pardonnéz, Monsieur, à l’indignation qui m’opresse, à l’amour de ma patrie qui m’isole peutêtre de la Sensibilité; mais la Saison des Tempéramens n’existe plus; Le régime de la Liberté veut des hommes, on en exclut Comme à sparte tout ce qui ne promet pas de l’être; la gazette de la Caroline du Sud repand des bruits et des Soupçons; une Coalition atroce fait dénoncer10 nos républicains comme des Conspirateurs et nos magistrats comme des brandons incendiaires. C’est votre intervention que je réclame, Monsieur; vous que j’avertis si Souvent des vrais rapports de notre esprit avec les autres peuples; vous à qui j’ai notifié officiellement le Décret d’avril qui dément des Calomnies trop accreditées parmi vous. Les grandes destructions par Toute la france Sont dües à des resistances étonnantes; nous étions déterminés à ne composer avec aucun principe reconnu pour vrai. Le tumulte fut grand, parceque les abus étoient monstrueusement accumulés; mais où ont ils vû ces Calomniateurs insensés, que nous veuillions forcer les revolutions dans le sein des peuples et introniser nos Principes à la lueur des incendies et avec le Couteau des assassins? Où ont-ils vû que Les républicains français ayent meprisé les loix et méconnu Les autorités? Il est Temps, Monsieur, que vous préveniés la formation d’un autre Coblentz dans votre Sein; il est Temps que la nation française soit connüe à fond et vengée des insultes de ces émigrés pervers rejettés du monde entier; il est Temps que vous mettiéz en vigueur des loix que vos Legislateurs ont faites pour empêcher que l’intrusion des émigrés étrangers ne devienne un fardeau pour la société, car bientôt les patriotes de 1775 ne seront plus rien dans le paÿs qu’ils ont créé, l’arbre de la Liberté dont Les racines ont été arrosées de leur Sang ne Couvrira plus de Son ombre que Ses plus cruels ennemis. Ferméz vos ports à Tous ces hommes vils qui viennent Chéz vous pour y jouir des bienfaits d’un régime qu’ils ont Trahi dans leur Patrie et qu’ils Trahiraient également icy lorsque les évenemens qui s’accumulent vous auront mis dans la nécéssité de prendre part à la Lutte de la Liberté Contre la Tirannie. Cette époque, Monsieur, marquée par la destinée qui Se joüe des mesures que prennent les foibles humains pour éviter des maux souvent réels, mais plus Souvent illusoires S’approche chaque jour. La liberalité et le desinteressement11 de nos procédés envers vous, la Circonspection de nos Demandes, la politique que vous avéz observé n’ont Conduit à rien; vous êtes Compris dans la Conjuration des tirans et votre ancien maitre Se repait déja de l’idée de tirer de vous un vengeance éclatante. Des avis que je crois Certains m’instruisent que le gouvernement Brittanique ayant appris la défaite de Gardner à la Martinique a resolu de faire une seconde tentative Sur cette Colonie. Les ordres sont déjà donnés à plusieurs vaisseaux et à plusieurs régimens de se tenir prêts à partir pour cette destination. D’autres expéditions Secretes Se préparent. L’ordre est donné de Lever des troupes dans le Canada, dans l’acadie et dans toutes les possessions anglaises du nord de l’amérique. Plusieurs officiers envoyés par le Lord Dorchester et par Simpcoe parcourent vos Etats pour observer vos mouvemens ou constater votre état d’indéfence; les Espagnols agissent de leur Côté et Tout annonce que les Cours de Londres et de Madrid Sont déterminées à vous attaquer Sans ménagement ou à vous impôser des Conditions Si humiliantes, que Le peuple américain ne sauroit jamais y Souscrire.
Dans cet état des Choses il est de mon devoir de vous représenter qu’il n’est pas probable que le nombre de bons Citoyens qui ont jusqu’ici défendû nos Colonies puisse résister à toutes les forces tant intérieures qu’exterieures qui les menacent et que ces possessions précieuses que les loix de la Convention nationale ont rendües aussi intéressantes pour votre Commerce que pour le nôtre touchent au moment d’être perdües pour vous Comme pour nous. La république française a le droit d’espérer dans une pareille Circonstance que la garantie que vous avéz promise à cet égard ne sera pas entierement illusoire et que vous vous empresseréz de l’effectuer par des secours directs par des diversions ou bien enfin par des demonstrations imposantes12 avec le même Zêle qu’elle défendra votre indépendance Si elle est attaquée. Vos engagemens et le partage fraternel que nous faisons avec vous de ces sources fécondes de richesses vous font un devoir de vous montrer.13 Votre navigation vous en impose la nécéssité et votre interêt doit vous presser de vous entendre promptement avec nous Sur les mesures à prendre en Commun, puisque le danger pèse également Sur nous et Sur vous. La neutralité dont nous aurions souhaité nous mêmes que votre pavillon fut revêtu14 n’est qu’un vain mot qui n’abuse plus la Crédulité publique; vous êtes dans un état de guerre15 indeterminé bien plus dangereux qu’un état de guerre déclarée. L’angleterre ne veut point que votre commerce prospere tandis que le sien languit, elle ne veut point que ses matelots qui deviennent plus rares de Jour en Jour trouvent sur vos vaisseaux un azyle contre la presse; Elle insulte en Conséquence le signe de votre souveraineté sur toutes les mers. Elle prend16 impunément vos vaisseaux, ou y presse vos matelots; elle excite au nord17 les indiens contre vos Citoÿens; tandis que les Espagnols les arment contre eux au Sud, ces deux puissances18 vous font une guerre Sanglante Sous le nom de ces Sauvages, elles font avorter ou prolongent avec perfidie19 toutes les négociations que vous entaméz pour rétablir la paix avec eux, la première retient impudemment au mépris des Traités garantís par la france, des forts qui leur servent à alimenter ces barbares; et toutes deux attaquent en amérique les posséssions de la france que la religion des traités vous force de défendre Sans qu’il Soit necéssaire même que nous vous en requérions. Tous ces faits doivent vous convaincre qu’il ne vous reste plus que deux partis à prendre et que vous devéz vous courber sous le poids de vos anciens fers; passer humblement Sous les fourches caudines que les Rois d’angleterre et d’Espagne vous préparent, vous jetter dans les bras liberticides de ces Vampires politiques, au prix de votre honneur, ou bien Si l’esprit de 1775 n’a point encore fui de cette Contrée, avertir votre souverain qu’il est temps qu’il Se lève avec majesté, qu’il est temps que votre Jeunesse aille prendre dans vos arsenaux les armes que leurs pères y ont déposées avec leurs lauriers impérissables pour20 défendre s’il le faut avec la france21 la liberté et l’indépendance des peuples le bonheur du genre humain.22
Dft (DLC: Genet Papers); in a clerk’s hand, unsigned, with revisions by Genet; above salutation: “Le Citoÿen Genet Ministre plenipotentiaire de la republique françoise près des Etats unis, à Mr. Monsieur Jefferson Secretaire d’Etat des Etats unis”; only the most significant emendations are noted below. Recorded in SJL as received 7 Nov. 1793.
Une portion interessante De St. Domingue: for the landing of a British expeditionary force of 600 men under the command of Lieutenant Colonel John Whitelocke at the port of Jéremie on 20 Sep. 1793, which marked the beginning of a five-year British occupation of Saint-Domingue, see , 105–8. Un Decret De La convention Nationale: see the enclosure listed at Genet to TJ, 30 Sep. 1793. la loi du 4. Avril: a reference to the National Convention’s 4 Apr. 1793 decree freeing French soldiers imprisoned on galleys for desertion prior to the French declaration of war on Austria on 20 Apr. 1792 ( , 1st ser., lxi, 295). le Décret d’avril: see the enclosure listed at Genet to TJ, [24] Sep. 1793 (first letter). Un Autre Coblentz: under the leadership of Louis XVI’s brothers, the Comte d’Artois and the Comte de Provence, the Rhineland city of Koblenz was the principal gathering point for French émigrés plotting to overthrow the revolutionary regime in France (Jacques Godechot, The Counter-Revolution: Doctrine and Action, 1789–1804 [New York, 1971], 155–60). la défaite de gardner à La Martinique: see note to Fulwar Skipwith to TJ, July 1793.
La Garantie que vous avéz promise: a reference to Article 11 of the 1778 treaty of alliance with France whereby the United States agreed to guarantee French possessions in America. The British invasion of Saint-Domingue led Genet to invoke this obligation despite his previous assurances to TJ that France would not do so. Although Alexander Hamilton and Edmund Randolph subsequently advised the President to inform Congress of Genet’s invocation of this article, apparently on the basis of TJ’s reading of the French minister’s letter at an 8 Nov. 1793 Cabinet meeting, Washington ignored their advice and TJ made no response to Genet’s demand ( , ii, 39; Memorandum of Conversations with Edmond Charles Genet, 26 July 1793; Notes of Cabinet Meetings on Edmond Charles Genet and the President’s Address to Congress, [18 Nov. 1793]; George Washington to the Senate and the House of Representatives, [2 Dec. 1793], and note; Randolph, “Heads of subjects to be communicated to congress; some at the opening, others by messages,” filed at end of November 1793 in DLC: Washington Papers; , xv, 429).
1. Remainder of sentence written in the margin by Genet in place of “depuis que j’ai désabusé nos marins Sur Galbaud et Ses Complices, ne m’ont prouvé que Trop évidemment la réalité de cette Conjuration dans le renversement de laquelle j’ai été Si bien Secondé par le verteux gouverneur et Les dignes magistrats de New york.”
2. Clause altered by Genet from “L’escadre est Sauvée, mais ces hommes qui vouloient la perdre.”
3. Remainder of clause written in the margin by Genet.
4. Preceding three words altered by Genet from “ils donnent.”
5. Genet here canceled “qui Se sont manifestés dans quelques uns de ces Etats.”
6. Word interlined by Genet in place of “dangereuses.”
7. Word written in the margin by Genet in place of “sûreté.”
8. Word interlined by Genet in place of “Confrères.”
9. Exclamation point inserted by Genet.
10. Altered by Genet from “une Conspiration atroce venge sa defaite de New york en dénonçant.”
11. Preceding four words interlined by Genet in place of “generosité.”
12. Preceding seven words interlined by Genet, who first wrote “preparatifs” for “demonstrations.”
13. Preceding sentence altered by Genet from “Vos engagemens vous font un devoir de cette garantie,” to which he first added “qui doit être la Condition sine qua non de” in the margin and canceled it, and then substituted “vous reveiller au bruit des chaines” for “cette garantie” and canceled it.
14. Sentence to this point written in the margin by Genet in place of “La neutralité dont vous voudriéz vous couvrir.”
15. Remainder of sentence interlined by Genet in place of “véritable quoiqu’elle ne soit encore déclarée.”
16. Sentence to this point and sentence preceding it interlined and written in the margin by Genet in place of “Votre pavillon est insulté sur toutes les mers, nos ennemis communs prenent.”
17. Genet here canceled “et au sud.”
18. Preceding thirteen words interlined by Genet in place of “Ils.”
19. Clause to this point altered by Genet from “ils ont fait avorter.”
20. Genet here interlined and then canceled “faire respecter la paix <dont le peuple americain voudroit> que les Etats unis voudroient conserver ou.”
21. Preceding seven words interlined by Genet in place of “avec nous.”
22. Genet here canceled the remainder of the text, which he sent to TJ in the form of the following document.