Permettéz que, pénétré des bontés avec les quelles vous m’avéz acceuilli pendant mon séjour dans les Etats unis d’Amérique, et dont je ne perdrai jamais le souvenir, je réclame les mêmes-bontés pour me faire rendre justice dans une affaire qui m’interresse et qu’une malheureuse circonstance a fait Naitre dans votre païs et dans L’Etat mëme que vous habités. mes droits et mes prétentions sont fondés sur L’Equité naturelle, sur les loix communes a toutes les nations: qui régissent1 tous les peuples: qui sont ou doivent etre réciproques entre tous les hommes, puis qu’ils appartiennent tous a une même famille, quelque soit le coin de la terre ou le hazard et la naissance les ont placés.

Pour ne pas abuser de vos Momens, cette Lettre devant etre très longue par sa nature, je passe de suite aux faits que je vais vous détailler le plus succinctement possible.

M. et Mme Rouelle, dont vous vous rappelerés sans doute, avaient acheté dans le Comté de New-Kent (en 1789), Etat de Virginie, une plantatîon située sur le bord du Pamonky-river pres de New-Kent Court house et a peu de distance de Richmond. ils L’ont habité L’un et L’autre pendant près de dix ans. en revenant en france ils ont cédé leurs droits a M. Pierre Piernetz frere du Mme Rouelle. ce dernier etait donc devenu propriétaire. les circonstances et la crainte de quelque mésintelligence entre votre païs et celui ci, L’avaient déterminé par prudence et pour sa propre sureté, a devenir citoyen américain, Démarche que L’on voudrait opposer aujourd’hui pour frustrer ses hérities naturels de sa succession.—Il fesait valoir cette habitation, et y avait etabli un magasin pour le commerce. il a prospéré; mais le 2 fevrier 1810 la mort, a laquelle nous ne pouvons Echapper, L’a Enlevé au moment ou, cédant a nos vives instances, il se disposait a réaliser sa fortune et a revenir dans sa patrie passer au paix ses vieux jours au sein de sa famille.

Mme Rouelle, devenue aujourd’hui mon Epouse, et dont a ce titre je deffends les droits qui sont les miens, est une des principales heritières et par droit de nature et suivant les loix civiles qui regle les droits de tous les hommes réunis en societé.

Tels sont, Monsieur et cher Confrère, les premiers faits qui vous faciliteront L’intelligence des seconds; Les quels m’ont été transmis par m. Oster Consul2 français a Norfolk et m. Pauly, notre ami, habitant du Comté3 de Louisa pres Stanton en Virginie.

M. Pierre Piernetz, mon beau frere, ayant eu une Légère indisposition pour laquelle il prit du tartre émétique (Tartite4 de Potasse antimonié) fit prévenir un certain Stewen Lacy qui tenait un second magasin appartenant aus Piernetz a Diascon-Bridge non loin de celui ou ce dernier demeurait: ce jeune homme étant arrivé, on alla chercher le magistrat5 Thomas Ratliff pour recevoir le testament de m. Piernetz, contenant un Legs universel en faveur dud.6 Lacy; mais, nous dit-on, soit faiblesse, soit irrésolution, m. Piernetz, qui sans doute ne voulait pas deshériter sa soeur, qu il affectionait beaucoup, remit au Lendemain à signer le testament qui avait été écrit dans le Secret et a la hâte, ce sont les propres expressions de m. Pauly.7 Dès ce Moment m. Piernetz ressentit les douleurs d’une rétention d’urine. Stewen Lacy s’etant couché avec lui, dans le meme lit se reveilla!!! le Lendemain ayant les bras croisés sur son bienfaiteur, dit-il; il le trouva sans sentiment et sans vie!!!!!

Sans m’arreter, monsieur et cher confrere aux circonstances d’une mort aussi promte, aussi singuliere, sans chercher a faire naitre des soupcons sur un evenement que la justice du pais n’a pas trouvée susceptible d’attirer8 son œil vigilant; sans faire aucune reflexion sur la facture d’un testament que m. Piernetz a refuse de signer, et sur les idées que les circonstances suggerent naturellement, je ne m’attacherai qu’aux suites Egalement singulieres et incroyables,9 en supposant même que tout se soit passé loyalement et Légalement

M. Piernetz etant mort, Stewen Lacy a demandé L’execution du testament et a etre Envoyé en possession de son Legs. m. Pauly nous a deffendus officieusement; mais par tous païs les absens ont tort. aussi, chose incroyable et qui n’a peut-etre pas d’Exemple, la Cour de New-Kent court-house a declaré valide,10 un testament que le prétendu testateur a refusé de signer et qui ne L’est par Aucun temoin. C’est a L’ancien Président, au premier magistrat des etats unis que je dénonce ce deni de justice. ce jugement a accordé à Stewen Lacy tout le mobilier du defunt, et quant aux bien fonds, attendu qu’ils n’ont pas, dit-il, été Légués dans les formes ils sont dévolus a L’etat.

M. Oster nous Mande dans sa Lettre,11 que m. Piernetz s’etant fait citoyen Américain il ne peut agir officielement en sa qualite, mais seulement officieusement; que pour faire révoquer le Jugement de la Cour, et réclamer a la prochaine Législature, qui commencera en décembre12 1810, et demander la remise et L’envoy en possession de tous les objets auxquels mon Epouse a un droit incontestable, il est nécessaire d’envoyer une procuration et toutes pièces qui prouvent sa consanguinité et ses droits.

Permettez moi maintenant, monsieur et cher Confrere, en réclamant vos bons offices,13 de vous présenter quelques reflexions.

d abord mon beau frere est mort le 2 fevrier 1810. nous en avons été instruit par les Lettres de m. Pauly en datte du 15 fevrier et de m. Oster dattée du 25 mars. ces deux lettres, sous la même enveloppe, ne nous sont parvenues que le 14 janvier 1811. ce fait est constaté par le timbre de la poste et le Certificat de m. M’Rae consul des etats unis a Paris. ces pieces seront jointes a celles que je rassemble et que nous enverrons incessamment a un fondé de pouvoir. L’éloignement, le trajet de mer, les difficultés,14 les longeurs du départ et de la traversée l’attent d’une occasion sure, &c. augmentés par les circonstances, les obstacles pour les communications, les intérets politiques qui ont fait naitre des différens entre le gouvernement des Etats unis et la france,15 des obstacles en un mot de tous genres, une force majeure n’a pas permit que je fusse instruit aussitot que j’aurais du L’etre, et n’ayant reçu la nouvelle que le 14 janvier 1811. il etaît physiquement impossible que ma réclamation fut portée a l’assemblée Legislative16 de Virginie au mois du decembre17 1810. je ne puis donc pas etre dechu de mes droits par cette raison.18

Au fond: m. Piernetz etait citoyen americain, ou, dit-on, ses héritiers etrangers ne peuvent pas hériter des biens fonds. ainsi dans L’espèce, et vu le jugement de la Cour nous n’hériterons ni du mobilier ni des immeubles. mais l° je dois avoir le droit de revenir sur un jugement porté sans que j’aie été entendu. 2° dans les traités qui ont reconnu L’indépendance de L’amérique et qui sont irrevocables, quant aux clauses de cette nature, nonobstant tous evenemens ultérieurs, il est dit, que les Citoyens francais seront traités comme Ceux des Natîons les plus favorisés. ou dans le traité avec la suede il est dit que le droit d’aubaine est respectivement-aboli. la france a tellement tenu a cette condition que, dernierement dans la succession d’un Americain, et dans laquelle m. Maklure19 avait des droits, nos tribunaux ont remis aux heritiers Americains, et le mobilier et les immeubles. le gouvernement des etats unis sera-t-il moins généreux et moins juste.la preuve de ce fait sera jointe aux piecès que je dois envoyer.20

quant au jugement de la Cour de New-Kent, vous savez mieux que moi, monsieur et cher Confrere que la maxime de tous les païs est qu’un testament etant un acte qui tend a frustrer21 un heritier naturel est un acte injuste: que les legislateurs22 par des motîfs particuliers d’interet social les permettent ou les Tolerent; mais23 ayant pressenti la suggestion et toutes les fraudes qu’il est Si commun et si facile de mettre en usage autour d’un malade affaibli, et dont les facultés intellectuelles sont devenues presque nulles par L’effet des Longues souffrances et de la maladie, ces mêmes Législateurs24 ont tous attaché a ces sortes d’acte des formalités impérieuses qui seules peuvent les rendre valides. la premiere formalité, celle qui constate la volonté libre et formelle d’un testateur est celle de sa signature, prouvée réelle et certaine par la signature des témoins.25 il est donc etonnant que la cour de New-Kent ait pu méconnaitre ce vice radical du testament qu’il a: déclaré valide26 quant au mobilier, et le jugement doit etre reformé sur ce chef. quant au second chef, les immeubles je ne doute pas que L’assemblée Legislative ne fasse droit a ma reclamation.

J ose donc vous supplier, monsieur et cher Confrere, de vouloir bien aider m. m. Oster et Pauly de vos bons conseils et de m’accorder votre bienveillance et votre protection pour 1° faire reformer le jugement de la Cour de New-Kent. 2° obtenir de L’assemblée legislative la délivrance des immeubles et m’accorder le delay de deux ans, vus les circonstances et les difficultés des communications pour présenter ma réclamation appuiée de toutes pieces, tîtres et preuves du droit que nous y avons.

J’ai L’honneur d’etre avec la plus haute considératîon et la plus parfaite estîme.